mardi 11 novembre 2008

Douces guérisseuses

Douces guérisseuses
«La période de 1804 à 1915 est l'âge d'or dans les villes pour les sages-femmes diplômées. Dans les campagnes, leurs consoeurs, les matrones traditionelles, continuent, sans bagage scientifique, d'accoucher dans leurs chaumières l'immense majorité des femmes haïtiennes»(1)

Dans ces pages où ont défilé, dans leur spécificité et leur admirable combativité, des noms parmi les plus éminents d'Haïtiennes, une place privilégiée revient évidemment à celles, le plus souvent anonymes, qui face à la maladie, se sont données la lourde tâche d'assister, de soulager quand elles ne guérissaient pas. Les faits sont là, plus que parlants : là où il n'y avait pas de docteur, là où se faisait sentir la cuisante nécessité d'une constance, d'une permanente présence (la négresse Catherine Jasmin aux côtés de son mari dans leur hospice pour gens de couleur(1) en est un exemple édifiant), se retrouvaient les femmes.
Leur insertion, appréciable à plus d'un titre, dans tous les domaines et à tous les échelons du monde médical étant aujourd'hui fait acquis, nous nous contenterons d'un bref rappel de ce qu'elle a été jusqu'en 1934, année où leur seront ouvertes les portes de la science médicale, insistant davantage sur ce qui, jusque-là n'avait laissé de constituer leur chasse gardée: la pratique de sage-femme. En effet, bien avant que la maternité ne relève en Haïti de l'obstétrique, avec le plus souvent pour seul bagage des acquis hérités d'une tradition imposante certes mais pas toujours fiable(2), des matrones, comme il est souvent encore le cas dans les campagnes, se retrouveront la plupart du temps les seules à offrir aide et soutien, aussi bien au moment des couches que dans les premiers jours si sollicités de maternité, occupant ainsi une place privilégiée et de premier ordre sur l'avant-scène de l'assistance maternelle.
Dans ce domaine dont traits et couleurs tendent aujourd'hui à s'estomper, à l'échelle du pays tout entier, se sont signalées aussi bien Haïtiennes qu'étrangères. Malheureusement ne sont parvenus à nous, d'une Histoire somme toute par trop partielle, que de rares noms, tels Mme Imbert-Carlet, Mme Escokry par exemple à Port-au-Prince, Miss Sarah Page à Jacmel, Miss Easy au Cap, diplômées d'école française ou jamaïcaine. Et émergeant de la cohorte anonyme, trop vite ouliée, Henriette Jean-Francois (Grann Day), femme du pharmacien Emmanuel Day, qui ayant hérité de Mme Thélusma Jean-Francois, sa mère, l'inappréciable don de soigner et particulièrement d'aider aux couches, est signalée comme une des sages-femmes les plus réputées de Port-au-Prince, celle qui est appelée dans les familles pour assister les patientes et recevoir les nouveau-nés , sans oublier évidemment sa fille Mme Jean-Jacques, à qui elle transmettra son savoir et sa notoriété et dont le nom, plus tard, figurera en bonne place dans la première promotion de sages-femmes de la Polyclinique Péan(5).
A partir de 1888, à la faveur notamment du mouvement d'organisation de la pratique médicale haïtienne enclenchée par le Dr Louis Audain, entre autres, l'État entreprendra le contrôle et la réglementation de la pratique des sages-femmes et la nécessité de leur offrir la formation adéquate s'imposera de plus en plus. En 1892, deux boursières de gouvernement, Mme Hébée Gabriel et Mme C. Dehoux, partent se perfectionner à Paris. Quelques années plus tard, en 1898 et 1899, l'École de Médecine puis la Polyclinique Péan du Dr Audain ouvriront grandes leurs portes aux matrones du pays et ces deux années verront plus d'une douzaine admises haut la main après un examen d'entrée. Et quand en 1900, la Maternité de Port-au-Prince sera fondée au local de l'Exposition, siège de l'École de Médecine, en partagera la direction avec le Dr Riboul Mme Nelvil Dubois, également de la première promotion ayant bénéficié de cette formation.
S'il est reconnu ainsi à ces femmes une affinité certaine à la science médicale, leur pratique par contre y demeure limitée et leur avancée, faute d'accès à des études médicales plus poussées, plus qu'incertaine. Un rôle, fondamental on le concède, mais de second rang, leur est offert avec l'ouverture de l'École des infirmières. Dans ce rôle, une femme comme Mercy Pidoux, une des premières jeunes filles de la bourgeoisie haïtienne à s'inscrire à l'École des garde-malades récemment créée, spécialisée ensuite comme infirmière visiteuse à Columbia University Teachers College de New-York, n'arrêtera pas d'étonner et de mériter l'admiration par son professionnalisme, son dévouement et surtout sa présence quotidienne dans les quartiers populeux de Port-au-Prince «apportant aux nécessiteux, aux pauvres,... les notions d'hygiène, les soins et les conseils.» (4)
1934 verra enfin les femmes reçues à la Faculté de Médecine sur un pied d'égalité. La première Haïtienne alors à avoir bravé ces études et décroché son diplôme est Yvonne Sylvain(5). A peu près à la même époque, est diplômée Marcelle Hakim(6), première femme dentiste. Elles ouvriront la marche à Yolande Thomas-Leroy, 1941, spécialisée en gynécologie, Lucie Paultre-Sajous, 1945, chirurgien, Irmgart Goldenberg-Zaguery, 1948, pédiatre, Edith Dreyfuss-Hudicourt, Ghislaine André-Rigaud, Rolande Scott-Jolibois, 1951...

(1) Docteur Ary Bordes, Evolution des Sciences de la Santé et de l'Hygiène Publique en Haïti., p236. (2) Aloou Kinson baptisé Jean Jasmin, nègre affranchi en 1741 (27 ans) épouse Catherine, 28 ans, négresse affranchie du sieur Nanat, tous deux de la Côte d'Or. En trois mois ils construisent à leur propre frais dans la ville du Cap, un hospice où il soignent également sans frais les gens de couleur. Capacité: 12 malades mais en recoit des fois jusqu'à 18. Hospice d'une grande notoriété, que Moreau de St-Méry dans ses démarches d'aide nommera Providence des gens de couleur; a recu de temps en temps des aides et subventions de l'administration coloniale. « Jasmin et sa femme étaint nommés premier hospitalier et première hospitalière, et sur le tableau des bienfaiteurs qui devait être mis dans un lieu apparent de l'Hospice, on aurait nommé d'abord la Providence des blancs et ensuite Jasmin et Catherine sa femme» (Moreau de St Méry, op. cit, p413). (3) Il est noté qu'à Port-au-Prince, par contre, les parturientes bénéficieront assez tôt du savoir-faire de sages-femmes déja au fait de méthodes plus évoluées. (4) Docteur Ary Bordes, op.cit, p222. (5) Marie Thérèse Colimon dans Femmes Haïtiennes, p218. (6) Madeleine Sylvain Bouchereau, op.cit, p176. (7) Soeur de Yvonne Hakime-Rimpel (voir portrait)
Yvonne Sylvain
1907 - 1989
Nourrie dans le terreau d'une famille riche d'engagement social(1) et à l'ombre des audacieuses percées de ses ainées Madeleine et Suzanne(2), nul étonnement qu'Yvonne, au tournant décisif de sa vie, se retrouve, avec un brio et une fermeté reconnus, dans ce pas initiateur de nouvelles débouchées pour les femmes et qui la consacrera première Haïtienne médecin. Toute à des préoccupations de jeune fille du monde, échos de ces jeux dramatiques très goûtés auxquels, pour le plaisir de parents et amis, elle ne laissait, très jeune de se livrer en compagnie de sa soeur Jeanne(3), c'est pourtant à l'Art, qu'au sortir du brevet, elle s'accroche et s'adonne. Elève du sculpteur Normil Charles, elle touche à la peinture, à la critique d'art, au théatre et même à l'animation radiophonique : "Une action tout aussi louable était menée par la station radiophonique HH2S où presque chaque soir, des artistes tels, Yvonne Sylvain, Odette Martineau, Jacqueline Wiener Silvera, Lina Mathon, Marcel Sylvain, Marcel Camille "emportaient sur l'aile des ondes la pensée haïtienne, l'art haïtien" (4). Préoccupations appelées cependant à ne représenter qu'un appoint dans sa vie puisqu'un retour sur elle-même la verra, à 28 ans, échapper de peu au voile pour considérer comme un appel vers la science médicale cette impuissance durement ressentie face à la mort de sa mère. En 1940, au terme de cinq ans de brillantes études où elle semble n'avoir consenti que rarement à céder son titre de lauréate, elle obtient du Bureau sanitaire interaméricain une bourse de perfectionnement dans des universités américaines, l'habilitant à professer, faut-il s'en étonner, en qualité de gynécologue-obstétricienne(5). De retour en Haïti (1945), sa nomination comme médecin des hôpitaux et, plus tard, professeur à la Faculté de Médecine, la publication de nombreux articles et communications scientifiques dans des revues médicales ne seront d'aucune entrave à une pratique marquée de clinicienne spécialisée dans le traitement de l'infertilité, loin d'être inapercue. Dans l'insertion du docteur Sylvain en Haïti, l'inquiétante vague duvaliérienne fera pourtant un long crochet de 13 ans (1960 - 1973) pendant lesquels en tant que déléguée en Santé Publique, plus spécialement en santé génésique, de l'OMS, elle professera dans divers pays d'Afrique, puis, pour son propre compte, en tant que clinicienne à Costa Rica et à Dakar. A son actif on retient également une intense participation à la fondation de la Ligue haïtienne contre le cancer, l'introduction en Haïti du test "Papa Nicolaou" de dépistage du cancer de l'utérus, et les bases de fondation de l'Hôpital de la communauté haïtienne de Frères dont elle restera, jusqu'à sa mort une vice-présidente active et éminente.
* Tiré de notre entrevue avec Myriam Sylvain Torchon.
(1) Yvonne Sylvain est fille de Eugénie Mallebranche et de Georges Sylvain. (2) Voir portraits Madeleine Sylvain-Bouchereau et Suzanne Comhaire-Sylvain (3) Corvington, op.cit,tome 7, p294 (5) Elle aura l'intéressante opportunité de suivre un stage à l'Hôpital Martha Haig, hôpital spécialisé en obstétrique et en gynécologie.

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