mardi 11 novembre 2008

Nos femmes sur scène

Femmes sur scène
En ce qui a trait tout particulièrement à la vie mondaine et artistique, relativement creuses vont se révéler ces années, pourtant, à certains égards, politiquement bouillonnantes, précédant 1934. En effet, à côté de rares et tièdes succès de prestations quelquefois le fait d'étrangers, en vain, la plupart du temps, certains artistes s'efforcent-ils d'entreprendre un public lui-même en mal d'exaltation et d'identification. Pesanteur d'un contexte? Absence d'entrepreneurs et d'animateurs convaincus? Pourtant, rien que du côté des femmes un regard, même sommaire, ne les découvre pas moins étonnament nombreuses à se vouer à l'Art et occupées comme à préparer en sous-œuvre le contexte d'où émergeront (d'où émergent déjà) les premières artistes professionnelles haïtiennes. Certains noms, en effet, brillent et passent la rampe parmi lesquels il faut retenir les actrices Lucie Défly, Odette Jean-Joseph, Odette Chevallier, Lily Taldy, et bien entendu, Jacqueline Wiener-Silvera qui, autant que la distinguée Wanda Wiener (à la fois auteur, metteur en scène, actrice et danseuse), se font fort, dans ce désert, certaines quelquefois en mettant sur pied leur propre troupe, de gratifier le public de spectacles d'une valeur artistique remarquable.
Bien que d'une modestie peu encourageante pour des initiatives d'une délicate texture, la scène résonne aussi du bel canto et de la plénitude de voix dont semblent se détacher, d'une netteté plus convaincante Andrée Gautier-Canez, Andrée Lescot, Carmen Malebranche toutes trois s'étant produites un peu partout (au Canada, aux Etats-Unis, en Europe) dans des concerts chaudement appréciés. A l'occasion, écho se fait-t-elle également de ces notes profondes et accomplies de musiciennes telles Clémence Chéraquit, Marie Moïse, Georgette Molière, Thérèse Souffrant..., à côté desquelles, il faut le dire, se taillent une place des plus enviable, deux grandes et inappréciables méconnues: Lina Mathon-Blanchet et Carmen Brouard.
Avec le mois d'août 1934 cependant, «mois qui a marqué une étape décisive dans le développement du théâtre et du cinéma» et qui voit notamment s'ériger au cœur de Port-au-Prince le grand cinéma-théâtre Rex (1), débute l'âge d'or de l'Art haïtien. Les deux décennies qui suivront verront s'échelonner à un rythme sans précédent et sans égal dans l'histoire de notre spectacle, des représentations comptant parmi les plus enthousiastes et réussies. Elles assistent également, pour ce qui est de la peinture, par exemple, à l'irradiation d'un vaste mouvement dont semble autant l'aboutissement que le catalyseur, la création sous la direction de Dewitt Peters en 1944, du Centre d'Art, véritable fer de lance dont l'étonnante vitalité, en plus d'un rapprochement qu'elle favorise entre peintres, d'un professionalisme pour la première fois révélé, a l'avantage d'offrir à Haïti une porte sur l'extérieur autre que celle routinière des démêlés politiques. Ces années compteront enfin le plus grand nombre de visiteurs étrangers de marque et vivront en 1949 l'apothéose de l'Exposition du Bicentenaire de Port-au-Prince.
De retour en Haïti en 1929, après un séjour de dix ans en France où elle a étudié au Conservatoire de Paris, Carmen Brouard-Magloire, pianiste, compositeur, à cheval sur ces deux époques, en impose par ses concerts classiques consacrés à Bach, Chopin, Listz, Beethoven, Willy Bartsh... «Son premier concert à Parisiana, le 9 octobre 1929, soulève les bravos unanimes de l'assistance pour sa brillante interprétation au piano des meilleurs maîtres. Avec le même brio, elle exécute Rêverie, exquis et langoureux morceau de sa composition»(2). Elle partage avec Ludovic Lamothe le patronage artistique de La Société du Théâtre national, constituée en 1930 à l'initiative du journal Le Matin et des acteurs de La Renaissance, «pour aider les artistes et acteurs à vivre de leur métier», et ouvre la même année une école d'Art. Jusqu'à la célébration du Bicentenaire, on comptera rarement une représentation réussie qui ne la voit sur scène. Carmen Brouard-Magloire vit actuellement au Canada.
La grande artiste Carmen Lahens, excellant aussi bien au piano, dans la comédie, l'opérette, le chant que dans les danses plastiques, forme et dirige une troupe avec les artistes français Eddie Desty, Raoul Nargys et Mme Greder. Leurs premiers spectacles au Rex (début 1934), dans des interprétations de Le Coup de Navaja de Michel Carré et La Bergamote de Jean Ysi, connaîtront un succès mémorable.
Margot Roland, danseuse, de son nom d'artiste Anacaona, «ancienne étoile des cabarets de Paris» retient l'attention déjà à ses débuts réussis au Rex en avril 1938 dans des figures assez osées pour l'époque. Mais, «revers de la médaille, Anacaona renonce à la danse ... et aux plaisirs du monde. Pitoyable, pieds nus, un sac au dos, portant une robe de pénitente et un capuchon de violine, une fillette à ses côtés, l'ancienne danseuse, impassible et recueillie, fait pénitence devant la cathédrale et marmonne des prières... Le 22 juin 1945, elle convolera en justes noces à Home Sweet Home à Martissant avec le poète des milieux interlopes, Magloire Saint-Aude»(3).
Jeanne G. Sylvain, également assistante sociale, ethnologue, membre active de la Ligue feminine d'action sociale et rédactrice de La Voix des femmes, joue un rôle fondamental dans le développement «dans notre milieu de la connaissance et de la pratique des Arts du théâtre». Membre fondateur et membre du premier Conseil de gestion du Centre d'Art dramatique, le CAD (25 novembre 1948) qui deviendra la Société nationale d'Art dramatique, SNAD, (13 décembre 48), où elle sera également professeur d'art.
Jacqueline Wiener-Silvera fonde et dirige, déjà dans le désert des années 30 une compagnie théâtrale qu'elle amène au succès dans les années 40. Artiste, également membre fondateur de la SNAD. On l'appréciera sur scène dans Le Cyclône, première représentation de la compagnie.
Et pour parler d'un personnage qui nous est plus familier, l'une des rares qui fait encore le lien entre ces trois générations, la «dauphine» de ces temps heureux, Micheline Laudun-Denis, pianiste de talent, compositeur, détentrice de plusieurs prix décrochés à des concours internationaux, qui, aujourd'hui encore, n'arrête pas de former des jeunes musiciens haïtiens. A quatre ans, elle accompagnait déjà son père au piano dans l'animation des fêtes d'enfants. Elève de Lina Mathon, puis de Bazile Coldoban, pianiste roumain du Conservatoire de Moscou réfugié en Haïti en 1941, d'Anton Werber Jaegerhuber, elle remporte à 15 ans (décembre 1945) le deuxième prix sur 217 participants du concours de méringues avec sa composition Méringue(4). En décembre 1948, elle étonnera dans son premier récital en solo au Paramount, «au cours duquel les mélomanes purent apprécier sa bonne technique, son intelligence artistique, sa mémoire prodigieuse et son sens musical très développé»(5).
Boursière des gouvernements américain, haïtien, de l'Alliance Francaise, elle aura très jeune le privilège d'étudier à New-York, au Conservatoire de Musique de Paris puis à l'Ecole de haut perfectionnement musical Marguerite-Longac-Thibault. Ses prestations en Haïti et dans nombre de pays étrangers la classe parmi les plus grandes musiciennes haïtiennes.
Mme Laudun Denis a également été, à son retour en Haïti, à côté de Robert Durand, Fritz Benjamin, l'un des membres fondateurs et pilier de l'Académie Pro Musica qui pendant près de dix ans, de 1967 à 1986, a participé à la «promotion de la musique auprès des jeunes talentueux ne disposant pas forcément des moyens de se payer des cours de musique».
Autre fidélité exemplaire à la musique que celle de Micheline Dalencour, benjamine du milieu qui, depuis bientôt une trentaine d'années, de par ses initiatives personnelles, dans différents collèges, à la Section musicale de Sainte-Trinité qu'elle dirigera pendant quatre ans, nourrit avec une rare vigilance et un enseignement exemplaire, l'intérêt des jeunes Haïtiens à la musique savante. On admirera la passion et la riche documentation de Micheline Dalencour dans les différentes manifestations commémoratives des grands maîtres dont elle se verra confiée la coordination et, depuis plus d'un an, dans son Florilège du Classique qu'elle anime à la radio.
* Sources combinées
(1) La mise en chantier du Rex, «salle de 1200 places» revient à la «Société haïtienne de Spectacles» société anonyme formée en mai 1934 avec pour actionnaires principaux: Edouard Mews, Paul Auxila, Daniel Brun, Léon Déjean, Pierre Nazon, Mme Lily Taldy... Concepteurs exécuteurs: les ingénieurs Pierre Nazon, Daniel et Phillipe Brun; Révision des plans: Léonce Maignan, architecte; Décoration intérieure: Franck Jeanton et Max Ewald, également architectes. La direction en sera confiée à Mme Lily Taldy, ancienne administratrice du Parisiana. G. Corvington, Port-au-Prince au cours des ans, Tome 7, p288 et suiv.
(2) (3) (5) Corvington, op.cit.
(4) 1er prix: Antoine Duverger pour Foufoune, 3ème prix: Walter Scott Elie pour Choubouloute Chérie.
Minette et Lise
D'un colon et d'une mulâtresse affranchie, la rue Traversière de Port-au-Prince voit la naissance, en 1767 et en 1769, de deux jeunes métisses dont les noms ne tarderont pas à figurer parmi les plus populaires de Saint-Domingue: Minette et Lise. Nourrissant alors pour ses petites un rêve qui, compte tenu de sa situation des plus modestes et des barrieres à l'époque étanches de race, ne pouvait être que des plus précaires et audacieux, la mère se met en frais de les initier, mais clandestinement, au syllabaire et plus tard, épuisant à cet effet les maigres rapports de son petit commerce de pacotille, leur engagera un maître d'études.
Quand à quelques années de là, subjuguée par le charme agissant de ces filles d'une beauté enjouée et remarquable, Mme Acquaire, actrice créole de La Comédie de Port-au-Prince, se proposera de leur enseigner le solfège et la diction, y verra-t-elle l'appel inespéré du sort? Nous sommes autour de 1780 et cette offre de la Dame Acquaire, entraînant d'un pas assuré les petites Minette et Lise dans la Danse sur le Volcan(1), leur traçait, du même coup, la voie qui mènera à la consécration des acteurs de couleur sur la scène de Saint-Domingue(2).
Peu de temps après, en effet, faisant montre d'une disposition exceptionnelle pour le théâtre lyrique, Minette qui, dans l'intimité ne laissait de recueillir l'approbation des proches, ne tardera pas à se voir ouvrir les portes de la Comédie de Port-au-Prince — jusque-là forcées uniquement par les talents indiscutables de nègres musiciens — où le 25 décembre 1780, aux côtés d'acteurs notoires, elle se fera chaudement applaudir «dans des ariettes `du genre' et plusieurs duo», «au grand concert vocal et instrumental» traditionnel de Noël. Enhardie par ce succès d'estime, on la verra alors, en dépit de ses 13 ans, former avec le concours de la dame Acquaire et son mari également artiste à la Comédie, l'audacieux projet de se présenter non plus dans un tour de chant mais, rêve combien ambitieux pour l'époque, dans un rôle d'opéra.
De ce jour mémorable qui verra alors la scène s'ouvrir triomphalement sur son avenir, on n'a encore autant et mieux dit que Moreau de Saint-Méry: «Le 13 février 1781, M. Saint-Martin, alors directeur, consentit à voir mettre le préjugé aux prises avec le plaisir, en laissant débuter sur ce théâtre, pour la première fois, une jeune personne de 14 ans, créole(3) du Port-au-Prince, dans le rôle d'Isabelle de l'opéra Isabelle et Gertrude. Ses talens et son zèle, auxquels on accorde encore chaque jour de justes applaudissements, la soutinrent dès son entrée dans la carrière, contre les préventions coloniales dont tout être sensible et juste est charmé qu'elle ait triomphé. C'est assez, sans doute de ce que la politique a concédé à l'orgueil sans qu'il faille encore que les Beaux-Arts reconnaissent son empire.»(4) Le succès est inespéré, on ne parle plus que du mystère et de l'étonnement de «La Jeune Personne», surnom appelé à devenir le nom de scène d'une femme dont l'emprise de ce jour ne laissera de croître.
Engagée pour trois ans par un Saint-Martin tout aussi subjugué qu'intéressé on verra cette jeune femme d'un dédain affirmé pour les comédies locales jugées comme une dégradation de l'Art, réussir à la mort de celui-ci, le tour de force d'assurer seule, au milieu d'hostilité et de haines raciales toutes les étapes d'une carrière exigeante et passionnée. En effet, au faite d'une gloire enviable, ne la verra-t-on pas monter de plus en plus seule des spectacles où, tenant pour peu les critiques qui signalent son goût trop prononcé du luxe et de l'apparat, elle régle décors, costumes et mise en scène, envoûtant son public par des rôles d'une facture de plus en plus nuancée et ardue et n'ayant de cesse que de détrôner sa rivale de gloire, Madame Marsan la Blanche, qui occupe la scène et les esprits du Cap.
Ce tour de force le réussira-t-elle aussi? Au dire de l'Histoire oui mais, les «exigences du régime et du milieu», on le comprend aisément, ne le lui concéderont que de façon toute mitigée.
Lise, de son côté, fera le choix réaliste de ne pas s'établir à la Comédie de Port-au-Prince. Heureuse décision peut-être, car tiendrait-elle le coup à côté de la dévorante ascencion de sa sœur? Après des débuts réussis aux Cayes en 1784, elle comblera les publics de Saint-Marc, de Port-au-Prince, de Léogane, souvent dans d'autres succès que ceux de prédilection de sa sœur. Oui, Lise aussi, «...aime «le grand genre» et aurait exécuté avec autant de brio les meilleurs succès de Minette mais, assumant plus allègrement sa «créolité», il ne lui déplaît guère de figurer dans Les Amours de Mirebalais, et d'être, à l'ombre de la case de papa Simon, la commère Thérèse, avec sa jupe grossière retroussée jusqu'aux genoux, sa pipe de terre cuite et la saveur des réparties en créole.»(6) Si, elle semble évoluer dans l'ombre de son aînée, les affiches la citant quelquefois comme la sœur de la demoiselle Minette, un témoignage de Moreau de Saint-Méry laisse entendre cependant qu'elle n'en a pas pour autant moins recueilli de suffrages: «...je me rappelle d'avoir assisté avec plaisir à quelques représentations et d'y avoir applaudi en 1788 la jeune Lise, qui d'après ce qu'elle avait acquis depuis son début aux Cayes en 1784, promettait d'ajouter aux annales théâtrales de la Colonie un exemple aussi heureux que celui de sa sœur...».(7)
L'histoire de Minette et Lise s'arrête à 1789. La jeune Lise se serait fait applaudir pour la dernière fois le 24 janvier de l'année précédente dans un des rôles principaux de Faux Lord ou le Pacotilleur et la demoiselle Minette au grand gala du dimanche 4 octobre 1789 dans La répétition interrompue de Charles Mozard. Et puis le néant. On sait que cette même année, avaient déferlé sur les rives de Saint-Domingue, les vagues successives de cette marée de révolte qui avait ébranlé de fonds en comble la Métropole. Les années qui suivirent à Saint-Domingue avaient connu le pillage, l'incendie de plusieurs centaines de maisons, notamment de La Comédie du Port-au-Prince, et aussi le massacre de plus d'un millier de femmes de couleur. Mais dans l'ignorance la plus complète demeure-t-on, aujourd'hui encore, de laquelle de ces vagues aurait emporté Minette et Lise. La bouleversante année 1789 avait baissé le rideau sur leurs glorieuses voix.
* Tiré des recherches de Jean Fouchard dans Le Théâtre à Saint-Domingue.
(1) Titre d'un roman de Marie Chauvet inspiré de l'histoire de ces deux jeunes filles.
(2) Les souvenirs de la visite à Port-au-Prince d'Alfred de Laujon après 1786 et ce qu'il rapporte du théâtre colonial sont à ce compte éloquents: «Les acteurs me faisaient beaucoup rire. Une maîtresse était jaune, un amant était blanc et quelques noirs jouaient le rôle de courtisants. Il fallait se reporter sur la scène pour ne pas entendre parler de préjugés. Ce fut surtout à l'apparition des chœurs que j'eus de la peine à me contenir. Je voyais dans l'ensemble des figures un mélange de couleur dont les nuances étaient différentes entr'elles, et les yeux s'y perdaient. Avec cela, j'entendis plusieurs voix qui me surprirent et je ne trouvai pas que la pièce fût mal représentée». Cité par Jean Fouchard op.cit. p291.
(3) Le mot «créole» semble être pris ici par l'auteur dans une acception autre que celle courante de «personne de race blanche née dans les colonies» et jusque-là inconnue de nous, car il est incontestable que Minette était une métisse.
(4) Moreau de Saint-Méry, op.cit. p989.
(5) J. Fouchard, op. cit. p282.
(6) J. Fouchard, op. cit. p284.
(7) Moreau de Saint-Méry, op.cit. p1101.
Lina Mathon Blanchet
1902 - 1993
Cette musicienne, compositeur, qu'on retrouve pianotant de ses doigts sur son lit de mort ce qui devait être à coup sûr, un dernier appel du folklore de son pays, aurait vu, de son vivant même, son nom sombrer dans le plus complet oubli, n'eût été la présence d'une poignée de fidèles passionnés de musique.
L'emprise du piano sur Lina Mathon remonte à ses 4 ans: «Quand elle allait quelque part où il y avait un, elle restait assise et le regardait, fascinée». Dans l'étonnement d'un désir aussi marqué pour cet âge, ses parents ne firent pas moins alors que de s'en procurer un et de lui trouver, en la personne de Justin Elie, un maître sur mesure, sans se douter un instant qu'offert ainsi, ce piano serait, pour leur fille Lina appelée à y passer sa vie, plus qu'une véritable passion. Révélée à elle-même et à son talent, Lina se produit alors avec tous les maîtres que compte l'époque jusqu'au jour où, dans l'évidence des limites mêmes du milieu et de l'impossibilité pour une âme aussi ardente de se surpasser, son mari Max Fussman (juif polonais réfugié de la Seconde Guerre mondiale en Haïti et qu'elle épouse en secondes noces) la décide finalement à partir travailler à l'Université Catholique de Washington.
Cela se passe en 1943. Mais bien avant, dès la fin des années 30, Lina fait déjà parler d'elle comme promotrice assidue de la musique folklorique de son pays qu'elle est, pour ainsi dire, l'une des premières à introduire sinon à révéler en barres de minerai pur sur la scène de nos théatres. Sa connaissance avec ce folklore remonte à ce jour où, rompant une fois pour toutes la glace, elle parvient non sans force insistance à vaincre les réticences de cette marchande de lait, sa pratique, à l'emmener à ce lakou niché «au haut du morne» voisin d'où, depuis quelques temps déjà, fusait cet air lancinant et plaintif dont en vain, des nuits entières, elle s'efforçait d'écrire la partition. De cette nuit, «initiatique» pourrait-on dire, qu'elle passe alors dans la contemplation d'une magie insoupçonnée et fascinante de gestes, dans l'imprégnation de chants et sons dont elle a sûrement du être parmi les premières de son monde à approcher de si près les recoins denses et sacrés, date, on le sait, ce grand pélérinage musical qui la verra parcourant le pays entier, visitant les hounfò, les lakou, attentive aux moindres cahutes, aux moindres «sons» d'un «service» ou d'une cérémonie vodou.
Mettant alors à profit ce qui devait être un don exceptionnel pour la musique et, devenue légendaire, cette mémoire jamais en défaut lui permettant de rejouer sans rature, même quelquefois en reprenant d'oreille, elle emmagasine tout, étudiant les rythmes, les décomposant et réharmonisant à souhait. Ravivant un feu dont, une quinzaine d'années plus tôt, un Justin Elie, un Franck Lassègue agrémentaient leurs compositions musicales en les «parfumant de l'âme populaire haïtienne», et l'alimentant d'une foi ainsi que d'une conviction propres, Lina, musicienne née, qui professait vis-à-vis des classiques un respect touchant à la véneration (préférant par dessus tout Mozart, qu'elle interprétait par ailleurs à la perfection), se retrouvera dans le sillage romantique de Chopin, Listz, Granados... à donner vie à des versions élaborées d'airs colorés de son terroir, faisant du coup entre le populaire et le savant, ce mariage fructueux et détonant qui, d'un pays à l'autre, et à des échelles diverses, a vu l'accomplissement de tant de musiciens.
Tout entière, en effet, à ce courant d'époque marqué fortement au sceau prometteur de l'Indigénisme, sur une scène beaucoup plus accoutumée «aux gracieuses ballerines» d'Annette Merceron et aux prestations plus «classiques» de Carmen Brouard, ne la verra-t-on pas, dans des concerts réhaussés de chœurs, se démener en diable et, dans ce climat où prend corps un esprit gros du «rejete»(1), imposer la troupe folklorique où elle fait tout à la fois office de maître de musique, de chant et chorégraphe?(2). «Esprit d'avant-garde, femme vive, spirituelle qui dégageait un tel charisme que même dans ses derniers jours elle accrochait encore les regards», Lina Fussman-Mathon, renverse les barrières, ouvre à ses galas folkloriques les portes du prestigieux cercle Port-au-Princien(3), et, pénétrant plus avant encore dans l'affirmation de valeurs frappées d'opprobre, provoque en 1938, l'admiration mitigée du tout Port-au-Prince en faisant — comble d'audace pour l'époque! — chanter sur scène en créole la promotion sortante de l'Ecole Maud Turian où elle enseignait le chant.
Ce qu'a dû lui côuter un engagement pareil, on ne le saura jamais. Toujours est-il que c'est à son esprit frondeur et à celui d'autres tels Clément Benoît (le premier à tenter dans son programme radiophonique «L'heure de l'Art haïtien» la diffusion des chansons populaires du terroir), Simon Benjamin et son chœur Aïda, Odette Glœcklé (ancien professeur de chant à l'Académie de musique de Rouen qui offrira également avec ses élèves des galas folkloriques très appréciés) qu'on devra la cristallisation de ce mouvement national dont les moindres fruits ne sont guère qu'une approche et une sensibilité autres à l'écoute du terroir.
Faits marquants de sa carrière.-
Professeur de Micheline Laudun-Denis, de Ferrère Laguerre (son neveu), de Jean-Léon Destiné (danseur partenaire de Gladys Hyppolite, vedette étoile de sa troupe), avec qui elle partage, autour de 1947, la direction de la Troupe nationale folklorique, spécialement constituée pour les fêtes du Bicentenaire et qui avait pour mission «de ressusciter tout un ensemble de traditions et de légendes léguées soit par nos origines africaines, soit par les mœurs de l'époque coloniale, soit enfin par les hauts faits de l'Histoire nationale(3). Le spectacle inaugural de cette Troupe nationale, principale animatrice de toutes les soirées haïtiennes du Théâtre de Verdure également inauguré en la circonstance, compte parmi les meilleurs de l'époque. On la retrouve toujours dans le cadre de l'Exposition, au côté de Wanda Wiener dans la création du spectacle La Féerie des Eventails et en accompagnement du pianiste américain Donald Shirley.
A une Lina dépisteuse de talent, on devra aussi de faire connaissance avec les mémorables et troublantes prestations de la chanteuse Lumane Casimir et les compositions éternelles du tambourineur Ti Roro. Même frappée de cécité, elle continuera jusqu'à sa mort, à enseigner et à orienter tous ceux qui étaient appelés par la musique et le chant. En 1989, elle est conseillère musicale du Ballet folklorique d'Haïti dans la création de Doréus et également de Tezen, conte musical de la même troupe qu'elle n'aura pas le plaisir de goûter à sa sortie en décembre 1995.
Les cahiers de musique de Lina Mathon-Blanchet sont introuvables. Tout aussi introuvables, son curriculum artistique qui retrace ses correspondances avec ses professeurs et confrères étrangers et ses nombreux concerts en dehors d'Haïti. Les seules œuvres gravées lui ayant survécu sont le quintet Contes et Légendes d'Haïti et les arrangements du Chœur Simidor produits par Raoul Denis père.
* Basé sur les interviews de Lucienne Mathon-Denis (sa sœur), Micheline Laudun-Denis, Marlène Roy-Etienne (ses nièces) et Marithou Chenet-Moscoso.
(1) Elle se fera même interpeller un jour par la police à une cérémonie vodou avec un groupe de ces étudiants et se fera vertement tancer pour assister à des manifestations aussi immorales.
(2) Pour ses prestations, cette troupe étrennait le costume national dessiné par Lina Mathon Blanchet elle-même: robe bleue carabella arrangée de volettes en siam, foulards à la taille et pour les cheveux en siam; pantalon de gros bleu, machette et alfor pour les hommes, dont on retrouve aujourd'hui encore beaucoup de variantes. Elle en fera pour elle aussi son costume journalier de directrice de troupe et pour ses prestations sur scène.
(3) Serait resté mémorable le gala d'art indigène qu'elle y présenta en mai 1939 avec Anton Werber-Jaegerhuber, Charles Miot et Gaston Durand. Georges Corvington, op.cit. p296.
La troupe de Lina a été invitée à représenter Haïti à un grand festival folklorique de Washigton au Constitution Hall des «Daughters of the American Revolution» dont l'accès avait été jusque-là interdit aux artistes de couleur et même à la célèbre Marian Anderson. Jean-Léon Destiné, Hommage à Lina Mathon-Blanchet, Le Nouvelliste, 15 mai 1994.
Lumane Casimir
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«Une artiste à l'expression plus authentiquement haïtienne, membre du Trio Astoria que dirigeait Jacques Nelson, commence à éveiller l'intérêt. Chez Mme Ludovic Boucard, rue Lafleur Ducheine, elle vient parfois chanter et pincer la guitare pour le plaisir de la maîtresse de céans et les passants, intrigués par son timbre éclatant, se groupent devant la maison pour l'entendre... C'est l'aurore d'une célébrité qui bientôt conférera à la chanteuse Lumane Casimir, première Haïtienne guitariste, le titre enviable de première vedette du chant en Haïti. Aux festivités qui marquent l'inauguration de la nouvelle ville frontalière de Belladère en 1948, la chanteuse émeut son auditoire par sa voix bouleversante. Le succès, durant l'Exposition, des chansons folkloriques Panama m tonbe, Papa Gede bèl gason, et Caroline Acaau, harmonisées et orchestrées par Antalcidas Murat du Jazz des Jeunes, et que le chanteur porto-ricain Daniel Santos divulguera aux quatre coins du continent, lui apportent la consécration»(1).
Les rapports sur sa vie confinent si souvent à la légende et si peu bavardes nous paraissent, par ailleurs, les traces de son existence authentique que, n'eût été le crédit implicite accordé à certaines formes de témoignage, on serait en droit de ne voir en Lumane qu'un pieux et pur produit d'un mirage collectif. Très peu de choses en effet demeurent aujourd'hui d'elle, en dehors de ce qu'elle était une «paysanne à la voix d'or» dont les chansons resteront «dans les mémoires comme les airs les plus évocateurs des heures d'enchantement de l'Exposition du Bicentenaire» (2). Et malgré notre rencontre de certaines personnes l'ayant un peu connue, et plus souvent vue sur scène, esquisser un parcours linéaire de Lumane ne peut tenir que d'une réelle gageure qu'après maintes infructueuses tentatives nous renonçons humblement à relever.
Sa guitare sous les bras, elle serait vue à Port-au-Prince autour de ses 14 ans, fraîchement débarquée des Gonaïves. Menant l'existence typique des artistes fauchés, c'est au Champ de Mars, à l'un de ces attroupements que ne manquaient pas de provoquer ses concerts de rue improvisés, qu'elle se serait fait repérer par le peintre Alix Roy qui s'empresse de l'introduire auprès de sa tante Lina Mathon Blanchet. Le diagnostic du maître est immédiat : son talent est incontestable et il ne faut pas plus pour que Lumane soit aussitôt comptée de la Troupe de Lina. «Officieusement», nous confie l'une de nos sources car, si par ailleurs Lumane tient sans conteste la scène avec le fameux Jazz des Jeunes, Lina, jouant sans nul doute de cet art, si utile aux succès d'époque et si particulier à elle, de rendre étonnament fructueux le côtoiement de mondes de nature diverse et à priori antagoniques, la produira dans ses concerts surtout en intermède, accompagnée de l'indomptable et imprésivible Ti Roro. Car enfin qui est-elle? De balbutiements et de souvenirs diffus, il ressort à peu près ceci : apparemment de souche floue et modeste donc par conséquent peu intéressante pour un certain milieu, la perception d'elle oscille entre celle d'une fille de rue et celle, pas plus recommandable, d'une fille à vie affective et sentimentale instable — on rapporte, incidemment, qu'autour de 1949, elle aurait épousé un nommé Jean-Bart mais d'un élan et de noces somme toute de durée brève. On a la certitude qu'elle écrivait elle-même nombre de ses chansons, qu'elle était toujours à court d'argent et qu'elle n'arrêtait jamais de boire... On se rappelle tout particulièrement son maintien et son air un peu revêches, la vivacité de ses propos envers qui s'aventurait à l'aborder à rebrousse-poil, tout cela rehaussé de l'excentricité de chaussures de tennis à homme blanches et de ce large chapeau fleuri dont sur scène, et même dans les représentations de la troupe à l'étranger, elle ne consentait que difficilement, pour ne pas dire jamais, à se déprendre.
Si l'on s'en tient à l'année 1953, avancée comme année de sa mort, le passage de Lumane dans la chanson haïtienne semble, tout compte fait, n'avoir été que de très courte durée. On veut qu'elle ait connu vers la fin de sa vie l'abandon et la plus grande misère et qu'elle soit morte tuberculeuse, dans une cahute à «Fò Senklè». D'autres voix insistent que Lina — ou une autre main secourable — l'aurait assistée dans ses derniers moments et qu'elle serait morte à l'hôpital. Une dernière version, celle-là tout aussi plausible, soutient qu'elle serait morte très jeune — environ 35 ans — d'usage abusif d'alcool et de la vie peu rangée et définitivement épuisante qu'elle menait.
La vie de Lumane, tout comme sa mort, a été celle des grands, d'une densité imprenable. D'elle demeurent le plus important, ces chansons si merveilleusement tenaces, des bribes que visiblement nous n'avons pas encore pris le temps de recoller et porté par la voix d'épigone d'une Carole Démesmin à son sommet, cet hommage de l'écrivain-conteur Koralen :
Si Lakansyèl te gen vwa
Si lakansyèl te ka chante
Se tankou Limàn li ta chante
Kote Limàn pran lavwa
Gen yon toubiyon ki leve
Mande pye palmis yo danse
Epòk sa a se nan tan Bisantnè
Si ou fèt avanyè
Ou pa sa konnen
Kouman ayisyen te fou pou li
Kouman yo te renmen
Limàn Kazimi.
Yon tifi, yon ti kòmè pwovens
Ki rive Pòtoprens
Vini chache lavi
Yon tifi, san fanmi san zanmi
Yon gita anba bra l
Ak yon espwa nan vwa l
Lè l kanpe, lè l kanpe pou l chante
Wosiyòl k ap pase vin poze pou tande
Se konsa anvan 1 an pase
Bèlè kou Bwavèna se de li y ap pale.
Nan yon ti kay san limyè
Ki te nan lakou Fò Senklè
Genyen yon fi ki pwatrinè
Se la yo di l remize
Gen yon sèl moun k ap okipe l
E se pa toulejou l vini
Se de twa timoun nan vwazinay
Ki konn fè ti goutay
Pou ba li manje
San konnen se yon dènye zanmi
Se yon dènye fanmi:
Limàm Cazimi
Lè l mouri, lantèman l ap chante
Tout moun li te fè byen yo youn pa prezante
Men se te yon jounen san solèy
Syèl la t ape kriye tout nyaj yo te pran dèy
Pye lorye ki gen sou plas Sentàn
Yo pliye yo panche pou yo salye Limàn
E nan van, nan van ki t ap pase
Gen moun ki fè sèman yo tande l ap chante:
Papa Gede bèl gason
Gede Nibo bèl gason
...
....(1) Georges Corvington, op.cit. p321.

Martha Jean-Claude
1929
Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de femmes qui faisaient ce métier; il y avait partout des artistes de théâtre. Tous les dimanches et jours de fête, je chantais à la chorale de la Cathédrale. Dès l'âge de 12 ans, je faisais partie de cette chorale, ayant été initiée par les sœurs de Sainte-Rose de Lima.»(1). C'est de là que, timidement, elle se fait entendre comme choriste dans les coulisses de son amie Emérante de Pradines jusqu'au jour où le public réclamant à tue-tête le second rôle découvrira avec émerveillement l'intemporelle Martha Jean-Claude. On l'appréciera désormais seule ou aux côtés d'Emérante dans les soirées privées, les réceptions d'ambassade... quand ce n'est pas dans l'une de ses prestations au théâtre, dont dans les années 40 déjà elle semble tout aussi friande.(2)
Puis Martha Jean-Claude nous est ravie quand le 20 décembre 1952, enceinte de 3 mois, elle est emprisonnée. Critique trop osée du gouvernement, activités communistes de son mari (absent du pays lors de son arrestation), mise en échec de ce projet, trop révolutionnaire au goût de Magloire, de construction d'une maison pour démunis? Pour ne laisser d'être imprécis et quelquefois contradictoires, les chefs d'accusation ne disent pas moins clairement que sa présence est indésirable et, à sa libération provoquée par un état de santé si inquiétant «qu'elle devra etre transférée à l'hôpital», elle ne se verra d'autre recours que l'exil.
C'est alors que Cuba verra arriver, après son très court séjour au Venezuela, cette jeune femme et ses chansons en quête d'une terre d'accueil. Se voyant alors contrainte à des emplois de fortune comme linotypiste, coiffeuse, Martha ne devra pas moins attendre 1956, sa rencontre avec Celia Cruz et l'enregistrement de son premier disque Canciones de Haïti, pour se voir lancée sur la scène cubaine, amorce d'une vivante carrière internationale. Chanteuse étoile des plus grands cabarets cubains (Tropicana, Sans-Souci), figurant régulièrement à l'affiche de spectacles dans les plus grandes villes d'Amérique et un peu partout dans le monde on la verra, à l'occasion, accompagner Nat King Cole, Mendosa. Loin de se départir de cette affection particulière pour le théâtre elle interprétera avec un égal bonheur des rôles divers à l'écran et dans des séries télévisées très populaires et prisées. Son propre film, Simparele dont, en plus du scénario et de la réalisation, elle incarnera le rôle principal sera primé à Cuba, en Palestine, en Espagne et en Allemagne.
S'il est insensé de prétendre embrasser en si peu de mots plus de 50 ans d'une carrière aussi riche, on reste par contre ébahi de découvrir cet univers et ce parcours marqués d'une fidélité entêtée et résolue à Haïti dans ce qu'elle recèle de plus autochtone. En 1957, peu après la révolution cubaine, elle se trouvera aux côtés des Haïtiens à l'ICAP (Institut Cubain d'Amitiés avec les Peuples) pour des recherches autour de la culture haïtienne. Si au cours de sa longue route, seule ou avec MAKANDAL, ce groupe musical monté avec entres autres musiciens de talent ses enfants, tous retrouvés sur ses traces, une juste place a dû être faite dans ses chansons et ses mélodies à une vigueur toute cubaine, ce sera avec assez de bonheur pour que Cubains et Haïtiens se réclament et s'approprient également la «nuestra haïtiana cubana» qui elle, en retour, ne trouvera pour se partager que ces mots pleins d'amour: «Mwen se fanm 2 peyi / Soy mujer de dos islas». De cette fidélité à l'engagement qui pérennise, le pas est franchi maintenant avec la création en mai 1996 de la «Fondation Culturelle Martha Jean-Claude» qui se propose, sous la direction du fils de Martha, Richard, de travailler à la promotion de la culture et du patrimoine des deux pays.
Il a fallu, sur l'invitation de la mairesse de Port-au-Prince, Mme Franck Paul, ce retour de Martha chez nous, chez elle 34 ans plus tard, en 1986, et cette tournée effrénée de février 1991 (où elle se produit au Café des Arts, au stade Sylvio Cator, au Théâtre National, au kiosque Occide Jeanty, au Club international...), pour que nous sachions à quel point elle nous a toujours été familière. De l'acceuil de ce public incrédule de la voir enfin, émerveillé de reprendre avec elle comme si ne datait que d'hier leur dernière rencontre, Dodo Titite, Kouzen, Agœ..., Martha a dû tirer la certitude de pouvoir exprimer enfin librement cette vérité de toute sa vie: celle de n'être jamais partie.
Discographie
1956: Canciones de Haití
1971: Martha canta a los niños; Disque d'or de Cuba
1975: Yo soy la canciòn de Haití
1976: Agœ
1995: Mwen se fanm 2 peyi/ Soy mujer de dos islas.
Films
1962: Yambao
1980: Entre el cielo y la tierra
1986: Simparele
Série télévisée
Algo más que soñar
Décorations et médailles
Médaille de la Culture nationale (Cuba)
Médaille Raul Gomez Garcia
Trophées (Boston, Canada, New-York)
Honneur et Mérite de l'ordre des Officiers, 1996, Haïti.
Prix
Simparele primé à Barcelone, San Sebastian, Laizip et prix de la M.L. Palestina.
* Basé sur l'interview de Richard Mirabal Jean-Claude, fils de Martha Jean-Claude et directeur général de la Fondation Culturelle Martha Jean-Claude.
(1) Martha Jean-Claude à Tap-Tap Magazine, no.76 (21.02.1991)
(2) Elle jouera aux côtés des acteurs de la Troupe Martial Day notamment dans Fifine et Toutou, L'Arriviste, Sanite Bélair (version de Mme Rosemond Manigat), Loccocia, Barrières...
(Voir Corvington, op,cit p294 et suiv.)
Emerantes de Pradines
1928
Chanteuse, danseuse, actrice…, elle s'est révélée, ici autant qu'à l'étranger, plus qu'un témoin, l'une des zélées protagonistes d'un mouvement culturel en pleine affirmation.
Fille du chanteur-compositeur haïtien Auguste de Pradines, Ti-Candio, Emerante, pour n'avoir connu, dès son plus jeune âge, qu'une chaleureuse atmosphère artistique entretenue dans la maison familiale et pour avoir eu par ailleurs, très jeune, le privilège, rare à l'époque de se frotter à la culture populaire et au vodou, vit et laisse à voir son parcours comme tracé d'avance.
Souvent enfant, Emerante chantait avec son père. Aux acquis gagnés à cet environnement de poésie, de musique et de danse viendra se greffer une formation musicale parfaite sous la coupe de Lina Mathon-Blanchet et avec René Bélance comme introducteur de chant. Ainsi donc, à 10 ans déjà, sans peine aucune, elle fait ses premières prestations à la radio en récitant des poèmes dans une émission culturelle. Plus tard, autour de 1942 - 1945, une présence assidue sur scène la donne à apprécier aux côtés des acteurs les plus réputés et dans les grandes pièces de l'époque dont Fifine et Toutou, La Famille des Pitite-caille, Lococia, Sanite Belair de Jeanne Perez (où elle chantera sa première chanson vodou sur scène), Le Baiser de l'Aïeule de Dominique Hyppolite, Barrières de Dorsinville(1)... C'est aussi à cette époque que répondant aux invitations répétées des représentations étrangères en Haïti, notamment celles des USA, du Chili, de France…, Emerante de Pradines s'y produira dans des spectacles de danse ou de chant (où se révélera d'ailleurs le talent de Martha Jean-Claude qui l'accompagnait souvent en seconde).
De toutes ces sollicitations, c'est pourtant la danse qui, semble alors gagner le cœur et l'avenir d'Emerante. En 1947, une première bourse d'études l'amène à New-York, à l'Ecole de danse moderne et primitive de Katherine Dunham où elle apprend puis enseigne la technique Dunham que, bientôt après, de 1950 à 1954, elle introduit en Haïti avec la fondation de La Troupe haïtienne de danse. Dans l'euphorie et la fièvre qu'on connaît à cette époque, elle sera également membre et actrice de la Société Nationale d'Art Dramatique, directrice de la section féminine de la Troupe folklorique nationale (elle y rencontre Lumane Casimir pour la première fois en 1952) et trouvera de temps du reste pour l'animation de l'émission radiophonique «L'heure de l'Art».
En 1954, une deuxième bourse de la Fondation de Parapsychologie ravira à Haïti, et pour plus d'une trentaine d'années cette fois, la dynamique Emerante. De retour à New-York elle poursuit ses études sur les techniques de danse moderne à l'Ecole Martha Graham et entreprend des travaux en Anthropologie à Columbia University où elle rencontre et épouse le Professeur Richard McGee Morse. A Porto-Rico, où elle est appelée à l'Inter American University en 1960, pour la mise au point d'un curriculum de danse, plus tard, à New Haven (Connecticut) où elle fonde et dirige pendant près de vingt ans une école de danse, Emerante mènera une carrière artistique et professionnelle dont, dans son pays, on parlera que peu même à son retour définitif à la fin des années 80.
Depuis 1993, Emerante de Pradines dirige avec son mari, l'Institut haïtien de l'Amérique Latine et des Caraïbes qu'ensemble ils ont fondé et qui se propose d'étudier la culture et les institutions de la Caraïbe tout en établissant un service d'échanges et de coopération entre les pays de la Région.
Concerts:
New-York, Boston, Los Angeles, San Francisco, Montréal, Québec, et New Haven (Connecticut)
Disques:
Voodoo
Original Meringues (Remington)
Creole Folk songs of Haïti (Folkways Records)
* Basé sur l'interview de Emerante de Pradines par Peter Anderson Saint Fleur.
(1) Georges Corvinton op cit, p234 et suiv.

Toto (Marie Clotilde) Bissainthe
1934 - 1994
«Toto a aimé la vie, la fête, la poésie, le théâtre... c'était une très grande diseuse.
[Elle] a profondément marqué le théâtre haïtien par son rapport au texte et son travail de mise en scène de la chanson.
Elle laisse un vide énorme.» (1)
Tournant le dos à une scène encore bruyante des retombées du Bicentenaire, et des excentricités folkloriques de Lina et de Lumane, la Toto qui part d'Haïti à 17 ans est loin de cette mordue de la rampe dont, bien avant ses prestations haïtiennes, nous parviendra, assourdi par un voile de terreur et de silence, un renom de turbulence et de prestige. En effet, à New-York puis à Paris, cette femme pour qui, de tout temps, semblent avoir été créées la rampe et ses tourmentes, donnera dans un premier temps une impression vague d'hésitation studieuse et de tâtonnement. On la voit participer à des stages d'aide-infirmière, amorcer des études d'agronomie, abandonner choses et autres, puis éclate dans une part assumée d'elle-même, celle qui, pour répondre plus authentiquement au monde de rêves et de révolte qui l'habitait, la trouvera en pleine lumière sur la ligne de son départ.
Et c'est cette Toto qui, dans l'ambiance toute d'exultation de minorités révélées à elles-mêmes, se retrouvera, à la faveur d'amitiés fortuites, à faire la découverte enrichissante d'un théâtre en rupture avec lui-même et d'une Afrique en voie de décolonisation, foyer fécond d'une négritude riche et vibrante de perspectives. Dans les remous des Griots (première compagnie africaine d'Art dramatique de Paris à la fondation de laquelle elle participera en 1956 avec Sarah Maldoror, Samba Ababacar, Timiti Bassori...) et sous la direction novatrice et frondeuse d'un Roger Blin puis d'un Jean-Marie Serreau, Toto connaît des débuts remarqués et non moins prometteurs. Depuis, au goût d'acquis successifs ou d'une permanence à chaque coup plus enracinée, se confirmera, dans des pièces de Synge, Pouchkine, Abdou Anta Ka, Ionesco, Becket, Kateb Yacine, Jean Genêt..., une carrière talentueuse de comédienne et qui la trouvera, plus près de nous, dans des mises en scène de Syto Cavé, pour ne rien dire évidemment de ses rôles d'écran, lesquels, pour ne pas offrir à ce monde de mouvement qui était son cadre idéal d'éclatement, ne la trouveront pas moins d'un talent affirmé.
Que cette même foulée ait révélé dans la chanson une fougue aussi ardente, voilà qui n'a rien pour étonner. Et encore moins, nous paraît-il, ces couplets dont plus encore que de leur prêter voix, elle fera crânement le choix à l'époque de faire vivre intensément sur scène les fibres les plus secrètes et subtiles. Accompagnée au début du pianiste Max Piquion puis de Toto Lami, c'est Ferré, Ferrat, Brel, Aznavour, Moustaki, Nougaro, Barbara..., certaines fois dans des adaptations créoles de Jacqueline Scott, bref une marginalité grinçante et rêveuse dont les accents, mêlés aux siens, ne laissent d'affirmer, par-delà pays et race, l'étonnante ressemblance, dans un monde universel de lucre et de routine, d'une écorchure vivace en mal de se retrouver.
Datant de ces échanges, autour de 1970, avec Max Pinchinnat, une autre grande Toto se découvre, marquée, à tout jamais, au sceau de sa rencontre avec la culture profonde haïtienne. Considéré comme soirée inaugurative de cette période, ce récital mémorable de La Vieille Grille à Paris (1973) où, pour la première fois, elle laisse entendre des morceaux de son répertoire inspiré du vodou et récemment constitué. Son parcours s'enrichit alors à mesure de rencontres plus proches des sources qui l'interpellent dont pour les musiciens haïtiens: Daniel Coulanges, Boulo Valcourt, Joël et Mushi Widmaier, et les paroliers Marco Wainright, Michael Norton, Syto Cavé, Lionel et Rolph Trouillot... En 1978, Toto entreprend en effet le chemin du retour et qui, bien plus long qu'elle ne se le figurera, la trouvera de 1979 à 1984, en Martinique, en 1984 en République Dominicaine et enfin en Haïti bien plus tard, en août 1986.
Qu'est devenue pour elle Haïti le temps de ce long crochet de plus de 20 ans? Loin de l'image douloureuse certes mais non moins pleine d'échos tapageurs qu'elle s'était faite, beaucoup plus, a-t-il semblé, un lieu non familier où, de désappointements en successives désillusions, elle se verra contrainte de fermer à mesure des bras offerts à l'arrivée. Multiples seront, en effet, les tentatives de Toto de trouver le mot, le ton qui ouvrirait le dialogue... L'Haïti tant chantée restera implacablement muette à son invite. Cependant, elle n'en fera pas moins sa demeure permanente, partagée entre cette glu singulièrement riche de sollicitations décousues et de fausses répliques d'une terre natale à reconstruire et des engagements d'artiste à honorer (elle se surpassera par exemple en 1989 à Dakar, à ce spectacle sons et lumière créé pour la réunion de tous les chefs africains où elle chante Toussaint Louverture). Loin de ses meilleurs moments de trépidation, elle joue alors très peu en Haïti.
Ses proches revivent encore cette insondable défaite : «Quand nous sommes revenus en Haïti, c'était pour construire. Et quand Toto s'est rendu compte que ce n'était pas possible, elle a tout lâché. Elle n'avait plus la force de revenir en arrière»(2). Un répit était-il envisageable dans la prise en compte, l'acceptation réaliste d'un échec? Mais comment raisonner et rendre lucide de grands mots et un rêve? «Elle était une enfant. Elle a toujours eu 7 ans. Sa révolte et son amour ont eu la témérité et la vérité d'une enfant»(3). Rejetant alors ce qu'elle semblait se refuser à comprendre, Toto, découragée, laisse s'abimer sa santé et à son dernier récital, c'est d'une Toto amère, sur une musique de Léo Ferré, que fusera ce cri douloureux, dernier soubresaut d'amour et de révolte: Ayiti, m pa renmen w ankò.
RÉTROSPECTIVES:
Spectacles
1961-1970 Répertoire francais / créole
Tournées Haïti
1972-1973 Chants Vaudou
Paris, La Vieille Grille; Martinique, Festival de Fort-de-France (avec Akonio Dolo, Beb Guérin, Cayotte Bissainthe); Haïti
1974-1977 Récitals
Bordeaux, Sigma (avec Colette Magny et Catherine Ribeiro); New-York, Academy of Music à Brooklyn / Madison Square Garden / Carnegie Hall; Paris, La Vieille Grille / Fêtes du PSU, d'Amnesty International; de l'Humanité, du MRAP...; Tchéchoslovaquie, Festival international de Musique (Slovakoncert Bratislava)...; Bruxelles, Campus en folie;
1978- Chants populaires d'Haïti
(avec Marie-Claude Benoit, Mariann Mathéus, Beb Guérin, Akonio Dolo, Mino Cinelu)
Paris, Théâtre de la Ville / Olympia Théâtre d'Orsay-Jean-Louis Barrault-Madeleine Renaud / Palais des Glaces; Sartrouville, Théâtre Gérard-Phillipe
Disques
Toto à New York, Chango, 1975
Toto chante Haïti , Arion, 1977; Prix de la chanson TF1 1978
Coda, 1996
Films
1958 Les Tripes au soleil, Claude-Bernard Aubert
1978 En l'autre bord, Jérome Kanapa
1979 Rasanbleman, Film reportage du concert des chants populaires d'Haïti
1988 Haïtian corner , Raoul Peck
1991 L'Homme sur les quais, Raoul Peck
—- La Tragédie du roi Christophe, Idrissa Ouedraogo
Théâtre
Avec Roger Blin: Les Nègres, Jean Genêt; Bœsman et Léna, Fugard;
Avec Jean-Marie Serreau: Les Bonnes, Jean Genêt; Amédée, Le Tableau, Les Œufs, Ionesco; Comédie, Becket; Arc-en-ciel pour l'Occident chrétien, René Dépestre; Le Cadavre encerclé, Les Ancêtres redoublent de férocité, Kateb Yacine; Funny House of a Negro, Adrienne Kennedy;
Avec Guy Lauzen: Un raisin au soleil, Hansberry;
Avec Guy Kayat: Les oiseaux, Aristophane;
Avec Jaromir Knitel: Le Cantiqupe des cantiques, présenté au Festival de Nancy;
Avec Raymond Rouleau: Rashomon, Festival de Spoletto;
Avec Guillaume Chenevière: Le Malade imaginaire, Molière;
Mise en scène de Toto Bissainthe: La Voix humaine, Le Bel indifférent, Cocteau.
Avec Syto Cavé: Songe que fait Sarah , S. Cavé; Rosanie Soleil , Ina Césaire
Sources diverses; Ralph Boncy; Michael Norton (époux de Toto Bissainthe).
(1) Syto Cavé dans Le Nouvelliste
(2) (3) Entrevue de M. Norton

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